Editions La Volte, 2009 / Folio SF, 2011
560 pages
Quatrième de couverture
"Je suis le capitaine Henri Villon, et je mourrai bientôt.
Non, ne ricanez pas en lisant cette sentencieuse présentation. N'est-ce pas l'ultime privilège d'un condamné d'annoncer son trépas comme il l'entend ? C'est mon droit. Et si vous ne me l'accordez pas, alors disons que je le prends."
Ainsi débute le récit du capitaine Villon. Il lutte avec son équipage de pirates pour préserver sa liberté dans un monde déchiré par d'impitoyables perturbations temporelles. Son arme : le Déchronologue, un navire dont les canons tirent du temps.
L'histoire
Il est compliqué de suivre les aventures du capitaine Villon sur la mer Caraïbes au fil de cet ouvrage tant le récit semble au premier abord décousu. Pourtant, grâce aux références et aux rappels que sème l'auteur comme autant de petits cailloux dans chaque chapitre, le lecteur finit par s'y retrouver... à peu près.
Ce qui le fait tenir, s'accrocher à ces pages, n'est rien moins que l'énigme de l'irruption de maravillas venues d'un futur lointain au milieu du monde de la flibuste du XVIIe siècle jusqu'à l'apparition de tempêtes temporelles ou le débarquement de flottes d'autres époques. On suit ainsi les pérégrinations hallucinées et bien souvent alcoolisées d'un surprenant anti-héros, bousculé par les événements, malmené par le sort, découvrant malgré lui les secrets des manipulateurs de ce temps dont la trame se déchire au fur et à mesure des épisodes qu'il conte.
Le style
Stéphane Beauverger a su s'approprier la langue du XVIIe siècle pour rendre plus réaliste le récit livré par son héros, le capitaine Villon, sans pour autant en abuser. Cela confère à l'ouvrage à la fois un style très travaillé au vocabulaire recherché et au langage fleuri, tout en lui conservant une réelle modernité dans la façon dont chaque épisode est relaté. On n'est pas transporté mais on ne s'en lasse pas pour autant. Il faut reconnaître un travail particulièrement méticuleux du point de vue stylistique tout autant que documentaire. L'auteur réalise ainsi un réel tour de force qu'il convient de saluer.
L'édition
J'ai lu la version poche du roman et n'y ai guère trouvé de coquilles. En revanche,j'ai regretté quelques tournures de phrases comportant encore des répétitions. Reste que La Volte reste une référence dans l'édition de SF : cela se confirme une fois de plus avec ce texte.
Mon avis
Le Déchronologue a obtenu de nombreuses récompenses fort justifiées. Il est inédit de trouver un texte de SF dont l'action se déroule non dans le futur mais dans le passé, un passé bien connu mais totalement dévoyé par l'auteur grâce à l'incursion d'événements inattendus autant que surréalistes. Stéphane Beauverger manipule l'histoire et ce n'est pas pour me déplaire !
Je me suis demandé presque tout le long du livre si la narration désordonnée d'un point de vue chronologique (et qui a tendance à compliquer grandement l'appréhension de l'histoire par le lecteur) n'était qu'un artifice stylistique ou visait un but particulier au niveau du récit. J'ai au début trouvé ce choix profondément agaçant. Il faut toutefois reconnaître que cette forme sied au fond puisque le temps, sa relativité, sa fugacité et son équilibre sont au cœur du roman. Malgré tout, pas de révélation particulière sur ce point à la fin. Je n'ai pu que reconnaître que l'agencement particulièrement réfléchi des chapitres, malgré le désordre apparent, visait à tirer le lecteur vers l'apothéose finale et à ne pas lui faire lâcher un livre qu'il aurait sinon pu trouver morne. L'inventivité de l'auteur aura donc bien fait son office.
C'est pour moi un excellent ouvrage de SF, créatif, à la construction inédite et qui joue bien son rôle puisqu'une fois refermé, on continue de s'interroger sur les événements qui ont été, qui auraient pu être et sur l'énigme constituée par l'apparition de déchirures temporelles en plein XVIIe siècle.